Blog Post - course-de-six-jours-une-histoire

Regarder des cyclistes tourner en rond dans un vélodrome, d’accord. Mais pendant six jours, sans arrêt? Moins tentant? Détrompez-vous : dans le temps de nos grands-parents, c’était la folie furieuse! Bienvenue dans le monde des courses de Six-jours, de véritables événements aussi courus qu’enlevants.

À notre époque dite du spectacle, on peut difficilement deviner ce que nos ancêtres au siècle dernier trouvaient d’excitant aux courses de six jours organisées au Forum de Montréal, sur une vaste piste de bois circulaire installée pour l’occasion, ou dans l’un des quelques vélodromes de la province.

La première course du genre a lieu à Londres, en 1878, et s’importe par la suite aux États-Unis, après quoi la migration vers les voisins du Nord n’est plus qu’une formalité.

Ainsi, Montréal inaugure sa première course de six jours le 30 septembre 1929. Et avec de grands noms. Le promoteur de l’événement, William Spencer, était tout content d’avoir mis sous contrat les stars sur deux roues montréalaises qu’étaient Henri Lepage, Tony Fitz et Fioravanti Baggio. Ils affrontaient pour cette première édition neuf équipes venues de France, des États-Unis, de Belgique, d’Allemagne, d’Irlande et d’Italie.

Le fonctionnement

Le règlement de base est simple : un membre de chaque équipe de deux cyclistes professionnels doit être sur la piste en tout temps, de jour comme de nuit, pendant 144 heures. Ce relais, on s’en doute, permet à celui hors piste de manger, boire, dormir (enfin, comme dormirait un parent de nouveau-né qui fait des coliques, admettons). Pendant ce temps, celui qui roule pédale fort pour conserver la position de son équipe.

Le but de la course? Accomplir le plus grand nombre possible de révolutions en 144 heures. Le prix? Une jolie bourse en argent! Et l'admiration populaire, il va sans dire.

Vitesse! Coups de théâtre! Sensations!

« L’habileté des coureurs dans ce genre de course fait frissonner les spectateurs », disait-on à juste raison en juin 1934 dans la Revue de Granby. Parce que pour que les foules affluent tant dans les gradins inconfortables du Forum (8000 personnes, les meilleurs soirs), il fallait bien que le spectacle soit à la hauteur. Une course de six jours, ça n’était pas plate, loin s’en faut.

Car pour maintenir l’intérêt de la course, les organisateurs mettent en place plusieurs stratégies pour casser la rotation continue des coureurs : compétitions derrière moto (où les cyclistes, « collés » à la roue d’une moto roulant devant eux, pouvaient atteindre des vitesses d’autoroute grâce à l’effet de vacuum), sprints intermédiaires (déclenchés à intervalles réguliers pour mettre un peu de oumph dans le show), etc. On comprend ainsi que le billet d’entrée pour une course de six jours donnait droit à bien plus!

Mais dans ce genre de course où la vitesse moyenne se situe autour de 40 km/heure en raison de l’inclinaison de la piste à 55 degrés dans les tournants (aller trop lentement = chute assurée, merci force centrifuge), ces artifices pour stimuler l’intérêt étaient presque superflus : les accidents n’étaient pas seulement courants, ils étaient la norme. « Une course de six jours sans accident, ça n’existe pas » répète-t-on souvent à l’époque, et pour cause : les chutes sont fréquentes, dramatiques, spectaculaires. Les fractures, contusions, lésions, torsions, foulures et autres blessures moins jolies relevaient de l’ordinaire, à la grande joie d’un public avide de sensations fortes.

« J’ai la tête qui éclate, j’voudrais seulement dormir… »

C’est simple, plus on reste alerte longtemps, plus on parcourt de la distance, plus on roule vers la victoire. Ainsi – s’en étonnera-t-on? –, pour parvenir à vaincre l’épuisement causé par des centaines de tours de piste, il fallait souvent être ami avec un bon « soigneur ».

Major Taylor peut en témoigner. Le cycliste américain champion de vitesse, raconte Wikipedia, « a refusé de continuer une course à New York en disant : Je ne peux pas aller en sécurité, car il y a un homme qui me poursuit autour de l'anneau avec un couteau à la main. » Était-ce dû à la fatigue ou aux médicaments ? On sait déjà que la nitroglycérine et la cocaïne n’étaient pas étrangères aux compétiteurs du genre , mais encore fallait-il qu’elles soient prescrites à des doses raisonnables, sinon on hallucine de méchants monsieurs.

Montréal a connu des courses de six jours sur une base annuelle, puis bisannuelle jusqu'au milieu de la Deuxième Guerre mondiale. Elles reprendront plusieurs années après que les hostilités soient terminées, dans les années 1960.

S’il fallait trouver un exemple contemporain d’endurance aussi remarquable, difficile de ne pas penser à Pierre Lavoie, cette machine comme il ne s’en fait plus et qui cumule à lui seul 1000 km en 60 heures (et des millions de cubes d’énergie) pendant que des équipes de 4 ou 5 cyclistes se relaient dans le confort de gros véhicules motorisés.

Retour au blog